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Protection des usagers

Quand l’inaction institutionnelle prolonge la fraude

Les escroqueries par téléphone sont devenues monnaie courante.
Derrière ces faits en apparence isolés se cache souvent une mécanique plus vaste, dans laquelle la victime doit faire face non seulement à la fraude elle-même, mais aussi à une série de défaillances institutionnelles et administratives.

Dans le cadre d’une intervention bénévole, nous avons accompagné une utilisatrice contactée par un individu se présentant comme technicien de son opérateur téléphonique. L’objectif annoncé : réaliser des travaux sur ses lignes fixe et mobile. La réalité : une escroquerie bien rodée, ayant généré des appels surtaxés à l’international et plusieurs centaines d’euros de hors-forfait.

À travers ce cas pratique, nous proposons d’examiner, étape par étape, les failles rencontrées : de la réaction tardive de l’opérateur à l’absence de protection proactive pour les utilisateurs vulnérables, en passant par les difficultés à faire reconnaître le statut de victime auprès des autorités compétentes.

Par souci de réserve, personne ne sera nommé. Le but n’est pas de mettre en cause quiconque, mais de documenter un dysfonctionnement global, afin d’en tirer les enseignements nécessaires.

Une escroquerie ciblée, aux mécanismes bien rodés

Le 25 mars, une utilisatrice reçoit un appel provenant d’une personne se présentant comme technicien mandaté par l’opérateur téléphonique. Celui-ci explique qu’une intervention technique est en cours sur les lignes, fixe et mobile, et qu’il est nécessaire, pour que les travaux s’effectuent correctement, de laisser ces deux lignes ouvertes en appel, en composant régulièrement une série de numéros de téléphone. L’objectif supposé était de maintenir la ligne connectée pour permettre les modifications nécessaires.
L’utilisatrice, prise de court et persuadée d’avoir affaire à un interlocuteur légitime, s’exécute.

Le lendemain, 26 mars, le scénario se répète dans des conditions identiques.

Ce n’est qu’au bout de plusieurs heures, après avoir commencé à douter de la véracité de la démarche, que la victime menace de contacter son opérateur. Ce signal de méfiance entraîne l’arrêt immédiat des appels de la part de l’escroc.

Une suspension brutale de la ligne

Le 27 mars, la fille de l’utilisatrice constate que la ligne fixe de sa mère a été suspendue sans explication. En consultant le détail de la facturation, elle découvre une série d’appels émis vers des destinations internationales à tarification spéciale, telles que la Guinée-Bissau, la Serbie ou l’Algérie. Consciente de la vulnérabilité de sa mère et de ses habitudes de consommation très restreintes, elle comprend rapidement qu’il s’agit d’une escroquerie. Elle nous contacte alors pour obtenir de l’aide.

Dans un premier temps, nous lui suggérons de procéder à la sécurisation des lignes, en bloquant les appels surtaxés et internationaux, puis nous expliquons en détail les mécanismes de la fraude, afin que la famille comprenne les enjeux et les risques encourus.
Avec l’autorisation de la victime, nous entamons les démarches auprès de son opérateur téléphonique et contactons le service client.
Ce dernier explique que la suspension de la ligne a été déclenchée automatiquement pour limiter les conséquences financières liées au dépassement massif du forfait.
Aucun message d’alerte n’a été adressé, aucune tentative de contact n’a été effectuée, malgré une rupture manifeste avec les habitudes d’usage de la cliente.

Une procédure fragmentée

Une fois l’escroquerie identifiée, la priorité devient l’annulation des frais induits par les appels frauduleux.

L’interlocuteur du service client nous redirige alors vers un autre numéro, présenté comme le service en charge des fraudes.
Une fois en ligne avec ce service, nous devons reprendre l’ensemble du récit : les circonstances de l’appel, le déroulé de l’arnaque, les mesures prises en urgence, le profil de l’utilisatrice. À l’issue de cet échange, le service reconnaît qu’il s’agit bien d’une escroquerie et procède directement à l’annulation des frais sur la ligne fixe.
En revanche, pour la ligne mobile, il nous est indiqué que ce service n’a pas la main : nous sommes invités à… rappeler le service client classique.

Nous reprenons donc contact avec le service initial. Là encore, aucun suivi de dossier n’est prévu, aucune transmission des éléments précédents n’a été faite. Il est nécessaire de tout réexpliquer, une troisième fois, à un nouvel interlocuteur.

À l’issue de cet appel, il nous est précisé que les frais liés à la ligne mobile excèdent le seuil de remboursement immédiat. Le dossier doit donc être transféré à une cellule supérieure, chargée d’examiner les cas exceptionnels.

Un délai de réponse de sept jours est annoncé, avec une échéance fixée au 2 avril.

Une sécurité défaillante

Au-delà de la complexité administrative rencontrée lors de la demande de remboursement, un point majeur mérite d’être souligné : l’absence totale de protocole de vérification d’identité adapté à la sensibilité de la situation.

Les démarches engagées par téléphone concernaient des éléments contractuels, des historiques de consommation, ainsi que des opérations financières.
À aucun moment des échanges avec l’opérateur il ne nous a été demandé de fournir un mandat écrit, une pièce d’identité ou une quelconque preuve formelle de notre légitimité à agir au nom de l’abonnée.

La validation reposait exclusivement sur la connaissance des identifiants client et du nom de la titulaire de la ligne. Informations potentiellement accessibles à un tiers malveillant en cas de compromission d’un compte mail, d’un espace client ou d’un simple document égaré.

Un refus de plainte malgré l’évidence

Le 28 mars, l’utilisatrice se rend accompagnée de sa fille auprès des autorités compétentes afin de déposer plainte.
Elles se présentent avec l’ensemble des éléments nécessaires, dont un rapport d’intervention détaillé retraçant la chronologie des faits, les preuves de la fraude et les démarches déjà engagées auprès de l’opérateur.

Contre toute attente, la plainte est refusée dans un premier temps. L’agent en charge de l’accueil considère que l’affaire ne justifie pas de dépôt immédiat, au motif que les sommes engagées seront probablement remboursées le 2 avril, comme précisé par l’opérateur.

En d’autres termes, la reconnaissance du statut de victime semble conditionnée à l’issue du traitement commercial d’un litige, comme si l’élément financier prévalait sur le caractère délictuel de l’escroquerie.
Cette position, juridiquement discutable, révèle une méconnaissance fréquente des mécanismes de fraude à distance, et une confusion entre restitution financière et reconnaissance pénale des faits.

Cet enchainement de mésaventures provoque un choc important chez la victime. Déjà en situation de stress, elle subit un malaise grave dans les heures qui suivent et doit être hospitalisée d’urgence.

Face à cette situation, nous reprenons contact avec les autorités afin d’insister sur la nécessité de formaliser la plainte sans délai, en rappelant fermement les obligations légales en vigueur, qui imposent aux services compétents de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions, sans condition d’appréciation préalable de leur recevabilité.
La plainte est finalement enregistrée, mais uniquement après insistance, documentation exhaustive, et confrontation à une certaine forme de dénigrement du travail déjà accompli.

Nous rappelons ensuite le service client de l’opérateur téléphonique.
Cette fois, nous signalons explicitement l’état de santé préoccupant de la victime, les conséquences psychologiques de l’escroquerie, et les répercussions aggravées par l’absence de communication et de réactivité des services concernés. Nous indiquons également que, faute de remboursement rapide, une procédure judiciaire pourrait être engagée.
Ce rappel ferme semble produire un effet immédiat : le délai initialement annoncé de sept jours est levé, et le remboursement intégral des frais liés à la ligne mobile est validé dans la foulée.

Note ironique : L’opérateur a confirmé le remboursement des frais à condition que l’utilisatrice soit “sensibilisée aux bonnes pratiques”.
Une exigence pour le moins surprenante, si l’on considère que les failles les plus manifestes de ce dossier ne relèvent pas de l’usagère, mais bien des lacunes de sécurisation et des procédures internes de l’opérateur lui-même.

Quand la protection des usagers repose sur leur combativité

Ce cas expose les failles structurelles d’un système encore largement inadapté aux réalités de la fraude contemporaine.

L’absence d’alertes comportementales, de protocoles d’authentification solides, de coordination entre services, et la méconnaissance persistante des cyberescroqueries créent un terrain propice à l’aggravation du préjudice subi par les victimes.

Dans un tel contexte, faire valoir ses droits exige une compréhension fine des mécanismes de la fraude, une mobilisation constante, et une persévérance que peu de victimes peuvent soutenir seules.

Le manque d’uniformité dans la prise en charge des signalements, conjugué à la surcharge des services et à l’appréciation subjective des faits, contribue trop souvent à décourager les démarches dès leur origine.

Cela souligne ainsi l’urgence d’une prise de conscience collective : renforcer la culture numérique des opérateurs, harmoniser les réponses à la fraude, et garantir un traitement cohérent, informé et respectueux des victimes. Car la reconnaissance d’un statut de victime ne devrait jamais dépendre de la capacité de celle-ci à se battre pour être entendue.

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Si vous vous sentez perdu face aux démarches à entreprendre, nous pouvons vous orienter vers les bons interlocuteurs :

  • Avocats spécialisés, qui pourront examiner votre contrat et vous conseiller sur les recours possibles.
  • Associations de consommateurs, qui peuvent vous aider à défendre vos droits.

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